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« Pas d’oubli » est le nom d’une série d’articles et de publications liés à des histoires de personnes mortes suite aux conséquences de l’état suisse, des ses lois, sa police, ses prisons. Parce que la mémoire est nécessaire aux luttes d’aujourd’hui et de demain.
Ce numéro est une collaboration entre le Projet-Evasions et @joujou_tdj
L’histoire d’Oleg N.
Pour un résumé de la trajectoire de vie de Oleg N. nous avons republié plus bas l’article du journal la WOZ, écrit par Bettina Dyttrich qui donne un bon aperçu des évènements de l’époque.
Dans cet article, il est cité que Oleg aimait lire et débattre des textes de l’anarchiste Bakounine. « Tu veux être sûr que personne ne puisse oppresser son prochain ? Alors fais en sorte que personne ne possède le pouvoir » disait ce dernier. L’insoumission propre à l’esprit queer et anarchiste se rejoignent dans le refus d’Oleg de laisser autrui décider de sa vie, de sa sexualité, de l’endroit où il souhaite vivre. Comme pour tant de personnes, le pouvoir et l’autorité ont été les obstacles entravant Oleg loin d’une vie librement choisie.
Face à Oleg se trouvent de multiples structures étatiques et des systèmes d’oppression. Le patriarcat, qui cherche à lui imposer d’être hétéro et l’homophobie qui cherche à brider sa sexualité. La psycho-normalité qui voit dans toute expression humaine non majoritaire un acte de folie et dans toute vulnérabilité psychologique un trouble mental. Et puis les structures autoritaires étatiques, avec leurs polices, leurs frontières, leurs lois sur la migration qui autorisent ou refusent le droit à un être vivant de venir vivre la où il.elle le désire.
L’histoire de Oleg est pourtant composée d’enfermements par les normes, autant que d’évasions. À sa naissance, Oleg est assigné hétéro, par défaut, comme tous les petits garçons d’une société hétéro-patriarcale. Pourtant Oleg deviendra homosexuel. Il est assigné homme, ce qui ne l’empêchera pas de s’habiller en femme. Il est assigné russe mais essaiera tout de même de partir en france, au luxembourg, en allemagne et en suisse.
Si Oleg a été victime de beaucoup d’oppressions différentes, sa vie est pourtant aussi remplie de résistances et c’est ce côté-la que nous voulons garder en mémoire. Nous ne voulons pas voir Oleg comme un héros ou un martyr, mais comme une personne qui a refusé de se laisser enfermer par le droit chemin et s’est battu pour cela.
Une vie est une trajectoire unique, polyforme, foisonnante. Ainsi en va-t-il de la vie d’Oleg. Mais si chaque histoire est unique, beaucoup sont similaires et malheureusement le cas d’Oleg n’est lui pas unique. Les personnes broyées par des formes d’autorité comme les normes sociales ou les lois sont multiples. Garder en mémoire la vie et la mort d’Oleg et ses causes, c’est aussi garder en mémoire toutes les autres personnes, connues ou non, victimes d’homophobie, de violences policières, d’enfermement ou de déportation.
« La liberté n’est pas une idée mais une pratique » disait encore Bakounine. Rendons-nous complices de tous celles et ceux qui dans leurs vies se battent pour cette pratique et contre toute forme d’autorité.
Le corps n’est pas le seul à porter des cicatrices
Article paru dans journal de la WOZ le 22.11.2012. Par Bettina Dyttrich
Sa recherche d’aventure et d’une vie sans harcèlement policier s’est terminée dans la prison de l’aéroport de Zürich : le réfugié russe homosexuel Oleg N. s’est donné la mort dans la prison de déportation de Kloten.
Au final, tout ce qu’il voulait, c’était sortir. Sortir de prison, sortir de ce pays où la police arrive toujours directement. Peut-être même retourner en Russie – bien que personne ne l’y attende.
« Oleg était queer », dit Fritschy dans son éloge funèbre. « Pas seulement parce qu’il était homosexuel. Oleg était queer parce qu’il incarnait une résistance étrange et en même temps fascinante. Oleg ne s’est jamais plié ou soumis aux processus bureaucratiques du système d‘asile suisse. »
Poussé par la fenêtre
En 2004, Oleg N. se rend pour la première fois à l’Ouest. Il demande sans succès l’asile en France, en Belgique et au Luxembourg. Fin 2005, il retourne en Russie.
Un jour de septembre 2006, il se promène à Nizhny Novgorod. Il porte des vêtements de femme. La police l’arrête, l’interroge et le laisse partir. Deux jours plus tard, deux policiers en civil se présentent à son domicile. Ils l’insultent et le poussent par la fenêtre. Il fait une chute de plusieurs étages, se casse le bassin, une épaule et plusieurs côtes, perd beaucoup de sang, a des ruptures au foie et aux poumons. A l’hôpital, sa rate doit être enlevée. Quand il pourra rentrer chez lui après deux mois, il voudra porter plainte. Un fonctionnaire lui déconseille de le faire. Oleg N. le fait quand même – et est emmené dans une clinique psychiatrique par la police.
« Ses déclarations étaient crédibles », déclare Denise Graf d’Amnesty International. « Et son corps était plein de cicatrices. Nous savons qu’il existe de graves abus à l’encontre des personnes LGBT en Russie. Nous connaissons des cas similaires. »
Graf rencontre pour la première fois Oleg N. au début de l’année 2008. Tout juste sorti de l’hôpital, il a quitté le pays et demandé l’asile dans la principauté du Liechtenstein. Il se rend bientôt en Allemagne et soumet une deuxième demande d’asile. Les deux sont rejetées. À l’automne 2008, il est de retour en Russie, et la police l’arrête à nouveau. Pendant plus de trois ans, il est alors interné dans une clinique psychiatrique de sa ville natale.
« Oleg ne comprenait pas le concept du système d’asile » , dit Martina Fritschy. « Pas parce qu’il était trop stupide – il était souvent psychologiquement incapable de se comporter comme les autorités l’attendaient. Dans ses phases maniaco-dépressives, il aimait voyager. » Elle ne sait pas quand ses problèmes mentaux ont commencé et dans quelle mesure ils sont liés à ses expériences en Russie. Mais tous les séjours à l’hôpital n’ont pas réussi à chasser son intérêt pour le monde. Il aime lire, s’extasie devant le roman « Carmen » de Prosper Mérimée et discute des théories de l’anarchiste russe Mikhaïl Bakounine.
Le 5 février 2012, Oleg N. arrive à Kreuzlingen avec un faux passeport estonien. Dans le premier interrogatoire, il décrit en détail les évènements de 2006. « Les déclarations qu’il a faites au Liechtenstein et en Suisse était identique », affirme Denise Graf – ce qui ne va pas de soi pour un homme souffrant d’un grave trouble psychologique et sur des faits datant de quatre ans. Il attire l’attention dans un magasin de Kreuzlingen parce qu’il y renverse une poubelle. Il se rend dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile à Zollikon, puis à Zurich. Le 21 avril, il veut se baigner dans le lac glacé du Vierwaldstättersee ce qui lui vaut un internement préventif. Il reste trois jours à l’hôpital universitaire psychiatrique de Zurich. Puis il saute tout habillé dans la Limmat depuis un bateau et obtient son deuxième internement préventif une semaine seulement après le premier.
« Visiblement quelqu’un devait le sauver », dit Martina Fritschy. « Mais Oleg m’a dit qu’il aimait simplement nager. Il a trouvé que la Suisse était un pays étroit d’esprit : la police vient toujours tout de suite. »
Cette fois, Oleg N. reste à la clinique pendant plus d’un mois. Le 1er juin, il s’échappe, se rend en Belgique – où il se retrouve à nouveau dans un service psychiatrique – et en France. Peu avant, l’Office fédéral des migrations (ODM) l’a invité à une audition. Mais le courrier ne lui parvient plus. Selon l’ODM, il a « violé de manière flagrante son devoir de coopération et a ainsi exprimé son désintérêt pour la poursuite de la procédure d’asile. » Oleg N. reçoit une décision de non-entrée en matière et l’entrée dans le pays lui est refusée.
L’orientation sexuelle ou l’identité de genre ne sont pas explicitement considérées comme des motifs d’asile en Suisse. Une motion de l’ancienne conseillère nationale verte Katharina Prelicz-Huber voulait changer cela. Mais près de deux tiers du Conseil national l’ont rejeté en 2010. Queeramnesty a soutenu la demande par une pétition, mais Martina Fritschy reste sceptique : « L’homosexualité et la transidentité sont des concepts occidentaux. Tous les réfugiés queer ne peuvent et ne veulent pas s’appeler ainsi. » Selon elle, le cadre juridique est déjà suffisant pour leur accorder une protection si les autorités étaient suffisamment sensibilisées.
Melanie Aebli, du centre de conseil en matière d’asile Freiplatzaktion Zürich, partage cet avis : « De nombreux réfugiés ne savent pas s’il est choquant de parler d’homosexualité en Suisse. Ou ils ont peur parce qu’une personne de leur propre pays traduit les entretiens. Ces raisons peuvent expliquer pourquoi ils ne mentionnent pas leur orientation sexuelle lors du premier entretien. » Ceux qui l’évoquent plus tard sont rapidement considérés comme indignes de confiance.
Interdit d’accès à l’unité psychiatrique
En automne 2012, Oleg N. retourne à Zurich. Il est bientôt de retour à l’hôpital universitaire psychiatrique et se présente à Queeramnesty. Fritschy et Ott lui rendent visite le 13 octobre. Il s’occupe du retour en Russie. Il donne une procuration à Fritschy pour qu’elle puisse obtenir des documents pour lui à l’ODM et veut se présenter à l’Aide au retour après sa sortie de l’hôpital psychiatrique.
Mais l’histoire ne vais jamais arriver jusqu’à ce point.
Le vendredi 19 octobre, Oleg N. est libéré, mais il se rend à nouveau à la clinique le dimanche pour un rendez-vous chez le médecin. Ce qui se passe ensuite n’est pas clair. Ce qui est sûr c’est que le personnel le dénonce pour harcèlement sexuel et il est banni de la clinique. Le soir même, il est arrêté par la police des chemins de fer. Selon le rapport de police, il avait harcelé des personnes à Zurich Stadelhofen.
Pendant sa détention provisoire, un médecin l’évalue comme étant « apte à l’emprisonnement ». Oleg N. est emmené à la prison de déportation de Kloten le dimanche soir. Selon les protocoles d’interview, il souligne qu’il veut retourner en Russie. Toutefois, il dit également à un employé de la Croix-Rouge qu’il souhaite demander un réexamen de sa demande d’asile. Le 9 novembre, Oleg N. peut parler à sa mère au téléphone car la Croix-Rouge lui prête un téléphone. Il lui demande de lui procurer des papiers pour qu’il puisse quitter le pays. Mais la mère ne veut plus rien avoir à faire avec son fils gay.
Trois jours plus tard, Oleg N. est mort.
Le ministère public de Winterthur-Unterland a ouvert une enquête. Selon l’Office correctionnel de Zurich, il n’y avait aucune indication d’un risque de suicide.
Une enquête indépendante est demandée
Amnesty International demande qu’une enquête indépendante soit menée afin de déterminer si le suicide aurait pu être évité. « Les personnes souffrant d’une telle détresse mentale n’ont pas leur place en détention pour expulsion », déclare Denise Graf.
Pourquoi Oleg N. a-t-il été emmené en prison le 21 octobre et non dans un service psychiatrique ? Le médecin qui l’a classé comme apte à la détention n’est pas joignable cette semaine. Et pourquoi les autorités ne l’ont-elles pas aidé à quitter volontairement le pays ? En raison de la procédure en cours, le bureau des migrations ne peut donner aucune information.
Le suicide suivant n’a eu lieu que cinq jours plus tard : le samedi 17 novembre, une demandeuse d’asile érythréenne a mis fin à ses jours dans la clinique psychiatrique de Liestal. Selon le « Basellandschaftliche Zeitung », elle devait être déportée en Italie. Elle laisse derrière elle trois jeunes enfants.
Contribution de @joujou_tdj
https://www.joujou-tdj.com/
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Aimer
Résister
Partir
Ce que j’ai lu sur Oleg N. m’a touchée.
En lisant l’article le concernant, j’ai ressenti une grande liberté intérieure assortie d’un fort désir de consommer cette liberté. Je pense que c’est un homme qui ne se laissait pas soumettre. Il a pourtant été la cible d’une oppression violente, mais je crois qu’il était plus fort que celle-ci.
Les images que j’ai crées ne vont pas bien ensemble, mais chacune représente un aspect que je voulais exprimer, comme les pans d’une réalité complexe.
Pour Oleg.