Comment la police interroge : chronique

    Entre septembre 2021 et Juin 2022 nous publions une chronique sur les techniques d’interrogatoires policières dans le journal suisse d’écologie politique Moins! Elles sont mise à jour dans cet arcticle au fur et à mesure de leurs parutions.
    Ces textes sont des extraits du livre à parraître : Comment la police interroge – et comment s’en défendre. Pour être tenu.e au courant de sa sortie, inscrivez-vous à notre newsletter en nous envoyant un mail à evasions[at]riseup.net

    Depuis qu’elle existe, la police est l’institution qui réprime avec violence les tentatives radicales et émancipatrices de changement sociaux. Aujourd’hui, force est de constater que, lois liberticides (de la MPT au passeport vaccinal), emprise technologique et recrudescence de la répression à l’égard des mouvements contestataires aidant, plus aucun.e militant.e écologiste ne semble à l’abri, un jour ou l’autre, d’un interrogatoire de police. C’est pourquoi Moins! a le plaisir de publier dans cette nouvelle rubrique des extraits du livre à paraître « Comment la police interroge », écrit par le Projet-Evasions, dans le but de se défendre efficacement face à l’autorité.

    Introduction du de la revue Moins!
    Mai – Juin 2022

    5/5 Se protéger par le silence

    Rappelons le contexte dans lequel tu es placé·e lorsque tu vis une situation d’interrogatoire : Tu ne possèdes que des informations lacunaires sur l’enquête qui te concerne et sur les éléments que la police détient. Tu vis un moment inhabituel et stressant. Tu es dans l’incertitude de ce qui va t’arriver dans le futur. Si tu es mis·e en détention, tu subis toute une série de pressions supplémentaires dues à tes conditions d’emprisonnement et à la privation de liberté. En face de toi, tu as des personnes entraînées à des techniques de manipulation poussées, fortes d’une expérience professionnelle en la matière et d’une connaissance plus ou moins large de ton profil.

    L’ensemble des stratégies et techniques de la police ont un point commun : pour atteindre leurs objectifs, la participation de la personne interrogée est nécessaire, voire essentielle. Cet élément constitue ta meilleure défense que tu possèdes. Si tu refuses cette collaboration, tu détruis les armes que la police pourrait utiliser contre toi. Ne leur offrir rien d’autre qu’un impassible « Je ne souhaite pas faire de déclaration » signifie ne pas leur offrir d’emprise sur toi. D’autre part, garder le silence évite de nourrir le dossier d’enquête avec tes déclarations, vraies ou fausses. On ne met personne en danger, ni autrui, ni soi-même.

    Pour tenir au mieux cet axe de défense, le plus simple est d’utiliser la stratégie du disque rayé. Cela consiste à répéter avec un volume toujours identique (non croissant) ta décision de ne pas faire de déclaration, sans te justifier davantage, avec à chaque fois pratiquement les mêmes termes. Cela te permet de marquer ta fermeté en restant toujours dans le même état émotionnel.

        "Je ne souhaite pas faire de déclaration",
        "Je ne souhaite pas faire de déclaration",
        "Je ne souhaite pas faire de déclaration".

    Plus tôt tu exprimes pour la première fois ta volonté de garder le silence, plus il sera facile de s’y tenir. Les inspecteurs.inspectrices vont essayer de te pousser à changer de stratégie de défense, notamment en te culpabilisant de ne pas répondre, ou en essayant de te faire croire que ton silence donne une image suspecte de toi et que cela jouera en ta défaveur.
    Après l’interrogatoire, si l’affaire est transmise à un·e juge, tu auras l’occasion de prendre connaissance du dossier d’enquête et ainsi des éléments que la police a rassemblés contre toi. Tu pourras aussi t’entretenir avec un·e avocat·e et te faire conseiller sur la meilleure manière de te protéger. Si tu choisis de faire des déclarations lors du procès, tu pourras les faire en connaissance de cause, avec un risque nettement plus petit de te mettre dans l’embarras.

    mars – avril 2022

    4/5 Entretien synchronisé

    Toi et tes amies avez toutes été arrêtées simultanément, trois jours après être allées déboulonner ensemble une statue d’un ancien esclavagiste, pourtant célébré par la société. Visiblement, la police vous soupçonne. Heureusement, vous vous étiez mises d’accord sur une version commune à raconter en cas d’arrestation. Pendant l’interrogatoire, tu réponds aux questions en narrant l’histoire que vous aviez préparée. Peu de temps après, les policiers reviennent et te font part de quelques légères divergences dans ton histoire par rapport à celles qu’ont racontées tes amies. Tu réponds en essayant de recoller les morceaux tant bien que mal. Mais une tension s’installe en toi.
    Comment être sûre que tu restes cohérent·e avec ce que disent les autres ? Encore plus tard, lors du troisième interrogatoire, tu comprends à travers les questions des policiers que ce ne sont plus de simples divergences qui sont présentes entre vos versions, mais de réelles contradictions laissant supposer un mensonge. Tu réalises, trop tard, que tes amies ont subi exactement le même interrogatoire que toi, dans le même ordre et que les inspecteurs ont réussi ainsi à transformer ce qui était d’abord une légère différence dans la même histoire, en deux versions opposées.

    Les entretiens synchronisés sont une stratégie spécifiquement utilisée lorsque la police auditionne plus d’une personne à propos d’un même événement. Elle permet de vérifier si les différent·es suspect·es ont préalablement convenu d’une fausse histoire commune afin de dissimuler la vérité. Dans un tel cas, toi et tes ami·es seront interrogé·es séparément mais suivant un schéma d’interrogatoire exactement similaire.
    Les questions seront posées de la même manière et dans le même ordre afin d’amener la même interprétation. Il sera facile de remarquer où se trouvent les divergences, quels sont les petits détails auxquels vous n’avez pas pensé, les questions qui n’avaient pas été anticipées et qui vous ont pris de court.
    Après comparaison entre les différentes versions, un deuxième interrogatoire est à nouveau mené simultanément et de manière identique chez toutes les personnes interrogées sans que vous n’ayez pu vous concerter entre vous. De cette manière, il devient aisé pour la police de creuser les écarts entre vos déclarations, jusqu’à faire perdre la crédibilité à votre histoire et à démontrer, par comparaison, qu’il s’agit d’une version préparée à l’avance.
    Une trop grande similarité dans une même histoire racontée par plusieurs personnes peut être tout aussi suspecte que de trop grandes lacunes. Deux personnes qui ont vécu un instant commun le raconteront chacune selon leur propre mémoire qui se sera construite à travers les ressentis et sensibilités que chaque personne aura vécu de manière différente. Le rendu sera sensiblement plus différent que si les deux personnes racontent la même histoire apprise par cœur.

    Janvier – février 2022

    Stratégie de la bouée de sauvetage

    Enfermée depuis des heures voire des jours dans une inconfortable et froide cellule de garde à vue, tu es stressée, mise sous pression, dans le doute quant à ton avenir et soucieuse de comment se portent tes proches. Les policiers et policières avec qui tu as eu contact ont eu une attitude froide, agressive et hostile. La solitude et le manque de contact social te pèsent. Soudain une policière te sourit, te parle avec gentillesse et bienveillance, se montre compréhensive et rassurante quant à ta situation et te propose même des « faveurs » jusqu’alors refusées (verre d’eau, nourriture, appel téléphonique, lecture). Pourtant, bien vite, cette même policière te pose des questions dérangeantes et lorsque tu refuses d’y répondre elle se montre personnellement déçue et te culpabilise « après tout ce que j’ai fait pour vous – moi qui croyais en votre sincérité ». Si tu maintiens ton attitude non-coopérative, les faveurs et la gentillesse vont disparaître aussi vite qu’elles sont apparues.

    Placé·e en garde à vue ou en détention préventive, ton seul contact social est avec les inspecteurs.inspectrices qui t’interrogent et les policiers.policières qui te gardent en cellule. Cette situation est exploitée avec la stratégie cyniquement appelée le phénomène de « bouée de sauvetage ». Lorsqu’au milieu d’un environnement hostile, une personne nous tend soudainement la main et fait preuve de gentillesse, il est dur de ne pas se sentir redevable envers elle. Ce sentiment va être utilisé pour te faire du chantage affectif. Le.la policier.policière en question fera part d’une profonde déception, surtout après s’être investi·e personnellement et émotionnellement, en espérant ainsi accentuer le sentiment de culpabilité chez la personne qui refuse de collaborer. Suivant ton profil émotionnel et social, cette stratégie peut être extrêmement déroutante et déstabilisante. La peur de décevoir la seule personne ayant fait preuve d’un peu d’humanité depuis plusieurs jours et le sentiment de lui être redevable de ses « faveurs » poussent à aller dans le sens voulu par cette stratégie : l’aveu et la collaboration à l’interrogatoire. Dans un tel moment, garde en tête l’asymétrie totale de cette situation. Après t’avoir arraché·e à la liberté et enfermé·e dans une pièce bétonnée, isolé·e de l’extérieur, la police tente un chantage émotionnel en te faisant des faveurs ridicules tels qu’un verre d’eau ou une cigarette. N’oublies pas que l’enquêteur.enquêtrice qui se montre « gentil·le » avec toi ne le fait pas par hasard ou par humanité mais parce que c’est un élément d’une stratégie de manipulation dont tu es la cible. Comme lors des précédentes stratégies décrites, c’est le silence qui va te permettre de te protéger au mieux. Ne rentre pas dans le piège de la discussion proposée par la police. Moins tu donnes d’informations moins cela pourra se retourner contre toi.

    Novembre – décembre 2021

    2/5 Stratégie du Sable mouvant

    Toujours assise dans le petit bureau au mur en béton, tu fais face à deux inspectrices qui te posent une question à laquelle tu ne souhaites pas répondre par la vérité. Tu mens sans savoir qu’elles connaissent déjà la vraie réponse. Cette question n’est qu’un test pour voir si tu vas t’engager dans un mensonge ou non. À présent, elles savent que oui. Alors elles te poussent à mentir encore et encore. Chaque mensonge attire une nouvelle question pour laquelle tu vas devoir rapidement inventer une réponse, cohérente avec le reste de ton histoire. Pas facile pourtant de te souvenir de ce que tu leur as exactement dit par le passé. Tout d’un coup, l’air triomphant, une des policières te fait savoir qu’elles savent que tu mens, qu’elles ont un élément qui démontre que ce que tu racontes est faux, que tu t’es contredite. Tu ressens que tu n’es plus crédible, que le juge va savoir que tu as essayé de mentir, que ce comportement te rend suspect. Que par la suite tu avoues avec l’espoir de sauver ce qui peut encore l’être ou que tu persistes à nier, la démonstration de tes mensonges est établie et sera retenue contre toi lors du procès. La tentation est dure de ne pas craquer en leur donnant des aveux complets.

    La stratégie du « sable mouvant » vise à te laisser mentir, voire à carrément t’encourager sur cette voie. Cela commence toujours par une question test dont la police connaît déjà la réponse afin d’évaluer si tu vas essayer de leur mentir dans la suite de la discussion. Si c’est le cas, tu vas être poussé·e à fournir de plus en plus de réponses mensongères. Et à chaque fois que tu inventes un nouvel élément, les interrogateurs.interrogatrices rebondissent dessus et te posent de nouvelles questions. En clair, tu t’enfonces dans tes propres mensonges. Plus tu leur livres d’éléments mensongers plus le risque devient grand que tu te contredises ou que tes mensonges s’opposent à des éléments déjà récoltés lors de l’enquête (témoignages, traces, indices,…).

    Mentir à l’improviste demande une grande capacité de concentration, beaucoup d’imagination et une très bonne mémoire. La police note l’entier de l’interrogatoire, alors que toi tu n’as que rarement la possibilité de prendre des notes. Et quand 2 ou 3 semaines plus tard les mêmes questions te sont posées à nouveau, tu dois répondre de manière similaire jusque dans les moindres détails. Si tu te contredis, tu perds en cohérence et en crédibilité, jusqu’à ce que finalement ton mensonge éclate en morceaux. Puisque tu ne connais pas les éléments de preuves que les policiers.policières ont récoltés contre toi, comment savoir si en mentant tu es en train de te sauver ou de te nuire ?

    Le silence est une meilleure forme d’autodéfense que le mensonge. Tenter de dissimuler la vérité par le mensonge c’est prendre le risque de révéler bien plus d’informations qu’en restant protégé par le silence. »



    Septembre-octobre 2021 |

    1/5 Bons flics, méchants flics

    Assise dans un petit bureau tout bétonné, tu as devant toi un inspecteur particulièrement agressif qui gesticule, hausse la voix, t’injurie et te menace. Tout d’un coup, la policière derrière lui, l’interrompt, s’assoit en face de toi et te regarde calmement. Elle déclare d’une voix rassurante que tout est moins grave que ce qu’il n’y paraît, que c’est bientôt fini, que tu dois juste répondre à ces quelques petites questions et qu’ensuite, promis, tu pourras partir. Tu cèdes? Non? Alors le premier flic, tape sur la table, te foudroie du regard, menace de te ramener en cellule et de t’y garder pour la semaine, et puis te pose des questions très précises auxquelles tu n’as aucune envie de répondre. Quand la flic « sympa » voit que le thème abordé t’est désagréable, elle coupe son collègue et te lance sur un autre sujet, qui paraît inoffensif et sur lequel tu t’engages volontiers ne serait-ce que pour que le flic « méchant » reste à l’écart et éviter les sujets sensibles. Sauf que petit à petit les questions te ramènent gentiment vers le sujet indésirable et que le flic « méchant » n’attend qu’une occasion pour te sauter dessus. Tiendras-tu le coup ?

    Bienvenue dans la stratégie du bon flic / méchant flic, grand classique des séries policières.

    Lors de cette stratégie d’interrogatoire, l’un.e des policier.ères aura une attitude agressive et menaçante, attaquant frontalement des sujets désagréables et inconfortables. À l’inverse, l’autre prendra une attitude rassurante, calme, presque bienveillante. Entre eux, tu es comme une balle de ping-pong, envoyée de l’un.e à l’autre jusqu’à ce que tu craques. Le rôle du flic « méchant » est de te mette la pression, te pousser dans tes retranchements, t’épuiser et t’effrayer. Lorsque le.la deuxième inspecteur.inspectrice juge que tu es prêt.e à craquer, ou lorsqu’un sujet particulièrement sensible est abordé, il.elle prend le relais, te rassure, t’offre un verre d’eau ou une pause, et d’une voix calme te fait des promesses avant de reprendre les questions ; « on veut juste une réponse à cette question ensuite vous pourrez rentrer chez vous ».

    Pour se concerter et savoir quand passer la main à l’autre, les policiers.policières utilisent des signaux spécifiques, comme un mot, un signe corporel, ou même une intonation.

    En fonction de l’ambiance que la police souhaite créer, la disposition des chaises dans la salle d’interrogatoire sera différente. Face à face s’ils souhaitent créer une ambiance de confrontation et chaise sur le côté de la table s’ils souhaitent t’amener dans une position réconfortante et collaborative.

    Les deux rôles ne sont pas nécessairement présents en même temps. Plusieurs entretiens peuvent d’abord avoir lieu avec des flics au rôle de « méchant » uniquement. Puis, arrivent deux inspecteurs.inspectrices, calmes et rassurant.es. Et tu te doutes bien que si tu ne coopères pas, les flics agressif.ves reviendront. 

    Passer rapidement d’une émotion à une autre entraîne un épuisement émotionnel. Cette tentative d’influencer tes émotions par un comportement spécifique s’appelle la contagion émotionnelle. En effet, l’état émotionnel d’une personne en face de nous influence notre propre émotion. Rencontrer une personne agressive pourra nous mettre dans un état de colère, de peur ou de stress alors que rencontrer une personne calme et douce créera de la tranquillité mais peut-être aussi de la méfiance. Avec ce mécanisme, on peut influencer un état émotionnel qui change au rythme des interlocutrices et de leurs comportements. C’est cela qui provoque un grand épuisement mental. Lié au stress de l’interrogatoire et à la peur d’être à nouveau confronté au flic « méchant », le risque de céder plus facilement au flic « gentil » est réel.

    Pour se protéger, rien de mieux que le silence, ou de répéter en boucle « je n’ai rien à déclarer« . Plus vite les policiers.policières comprendront que tu ne vas pas t’engager émotionnellement dans leur stratégie, plus vite ils.elles te laisseront tranquille.