Epectase #5

Depuis deux ans et six mois la revue Epectase suit son petit chemin. En voici le 5e numéro. Ce numéro en quatre langues comporte des contributions de 9 personnes différentes provenant de 6 pays différents.

Epectase est née d’une envie de rassembler diverses approches, réflexions, visions autour de l’érotisme. Un érotisme sauvage qui ne se laisse pas enfermer dans des  normes, des étiquettes ou des jugements moraux. Un érotisme qui cherche à s’émanciper des schémas oppressifs et des postures d’autorité.

Grâce à l’enthousiasme et le soutien de plusieurs personnes, Epectase paraît à présent aussi en italien. On rappelle le concept : vos contributions peuvent être envoyées dans n’importe quelle langue et sont ensuite traduites vers le français, l’allemand, l’anglais et maintenant donc l’italien. Les langues originales sont imprimées dans la version papier, et les traductions sont publiées sur le site du projet-evasions.org. Seuls les poèmes ne sont pas traduits.

Ci-dessous se trouvent les traductions françaises de : 

PASSIONNÉ DE SEXE, ET FIER

De Apelio

La plupart de mes ami.e.s ne connaissent pas la moitié de ce qui va suivre.

On part sur de l’anonymat donc.

Écrire. Ce n’est pas censé être mon truc. C’est le truc de ma mère ça. Moi je dessine, elle elle écrit.

Mais je crois qu’à force de me taire, les mots ont fini par déguerpir. Et maintenant il est temps pour moi d’aller à leur rencontre pour les récupérer. Mais être lu ? Il n’y a rien de plus effrayant.

TW: Viol.

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé le sexe.

Ou bien dire que « j’ai toujours été attiré par les plaisirs de la chair » serait plus juste et socialement acceptable.

Je me souviens avoir découvert et commencé à me masturber tôt. Aux alentours de six ou sept ans. À califourchon, me frottant sur des barrières métalliques. Contractant la totalité de mes muscles jusqu’à ressentir une sorte de libération. Je ne savais pas comment ça s’appelait à l’époque cela dit… Je disais que je me « faisais du bien au sexe ». J’ai eu beaucoup de chance d’avoir été élevé par des parents ouverts d’esprit qui n’ont ni interdit ni diabolisé la chose. Iels m’ont simplement appris ce qu’était l’intimité, et à veiller à ne pas le faire n’importe où.

Je me souviens de pop-ups sauvages apparaissant sur l’ordi de mes parents. Hentais. Tentacules. Verges. Vulves dégoulinantes. Fluides. Beaucoup de fluides.

Je me souviens avoir eu la discussion avec mon grand frère. Il avait eu l’impression de ne pas connaître assez de choses sur le sujet avant d’entrer au collège, et voulait m’éviter le même harcèlement scolaire auquel il avait eu droit. Donc il m’a offert un lieu sûr, et a répondu à toutes mes questions. – Ça n’a pas vraiment aidé niveau harcèlement par contre.

Je me souviens de fêtes d’anniversaire. De discussions sur les garçons. Sur comment embrasser. Puis essayer, s’entraîner. Moi assis.e sur une chaise pendant que mes amies pressaient leurs lèvres contre les miennes à tour de rôle. Jusqu’à ce que l’une d’elles ait l’audace de glisser sa langue dans ma bouche… Jusqu’à ce que toutes les autres l’imitent.

Je me souviens jouer à papa-maman avec ma meilleure amie. Faire le mari. Embrasser. Lécher. Sucer. Frotter. Avec du recul, techniquement mon premier rapport sexuel. À tout juste dix ans.

Je me souviens dormir chez des ami.e.s. Passer la soirée sur des sites de rollcam. Discuter avec des gens. Parfois tomber sur un mec en train de se branler. Taquin. Curieux. Désireux de les faire et de les voir éjaculer.

Je me souviens être en train de me masturber, à nouveau. Vouloir sentir quelque chose me pénétrer. Stylos. Manches de brosses à cheveux. Légumes emballés dans du cellophane. Ugh.

Je me souviens sexter avec des crushs. Ou avec des inconnu.e.s.

Je me souviens de ma première pénétration par un vrai pénis, à 14 ans avec mon copain un an plus âgé, après un mois de relation. Se câliner dans le lit. Avoir envie de lui. Être excité. Avoir été conseillé par une cousine d’attendre plus longtemps. Se dire “rien à foutre” et sucer jusqu’à – enfin – goûter du sperme. Ses yeux, me regardant comme si j’étais divin.e. Ses mots, se demandant s’il s’agissait vraiment de ma première fois.

Je me souviens discuter de cul avec des ami.e.s entre deux cours au lycée. Être passionné.e. Avoir envie d’apprendre plus. Plus. Toujours plus.

Je me souviens de mon sexfriend quand j’avais 18 ans. Un entrepreneur à succès, 9 ans plus âgé. Musclé. Sexy. Une intrigue tout droit sortie d’un roman d’amour pour ados. Apaisant et doux, mais aussi espiègle et dominant. Me servant du vin. M’emmenant dans sa Lotus aller voir le coucher de soleil sur une colline. Me pénétrant dans le jardin. Sur le hamac. Sur la table. Sur le canapé. Sur le lit. Dans la baignoire. Me réveillant au milieu de la nuit pour me baiser. Plongeant ses doigts, ses mains, sa queue. La relation charnelle la plus sexy que j’ai jamais eue. Je mouille encore rien que d’y penser.

Je me souviens être étudiant.e, avoir un nouveau sexfriend, 14 ans plus âgé. Être violé.e. Sans savoir que c’était un viol. En anal. Peut-être que je n’ai pas dis “non” assez fort. “C’était juste une expérience qui a mal tourné, ça arrive”. Ou peut-être que je ne suis qu’une salope en chaleur qui ne mérite pas d’être respecté.e. Sauf que non. J’aime le sexe et je mérite d’être respecté.e.

Je me souviens chercher sur Google “sexe brutal” et “sexe bestial” quelques années plus tard. Essayant de comprendre ce qui me plaisait. Découvrir le BDSM. Chercher des gens avec qui échanger. S’inscrire sur FetLife. Discuter. Apprendre ce qu’est un safeword et le SSC. Rencontrer. Trouver de nouveaux kinks. Avoir mon premier Dom. Être attaché.e. Suspendu.e même. Être fouetté.e. Jouer avec des lames, des bougies, des chaînes, des câbles. Apprendre ce qu’est le don de soi. Pleurer d’extase. Comprendre ce qu’est le subspace. Ivresse.

Je me souviens vouloir switcher. Vouloir essayer de dominer. Mais ne pas trouver le.a bon.ne partenaire avec qui jouer.

Je me souviens vouloir exposer mon corps en live sur internet. Faire deux shows sur Chaturbate, puis abandonner. Gênant.

Je me souviens vouloir être un.e escort. Créer un site, poster des messages sur des blogs douteux. 150 roses de l’heure. Envoyer des mails. Des photos. Avoir un rendez-vous. S’habiller. Se maquiller et porter des talons. Marcher jusqu’à l’adresse. Puis se dégonfler devant la porte et tout supprimer. Courir chez une amie, parler toute la nuit, pleurer un peu. Pas seulement parce que j’avais eu peur, mais aussi parce que je n’avais pas réussi à aller au bout de ce qui me faisait réellement envie.

Je me souviens avoir un nouveau copain, déménager, laisser tomber le BDSM. Sensations de sevrage.

Plus tard.

Je me souviens aimer absolument tout le monde, ne jamais vraiment questionner mon orientation sexuelle. Mais maintenant questionner mon identité de genre. Questionner l’entièreté de ma vie sexuelle, et chaque sensation jamais ressentie. Repenser ma sexualité. Prendre conscience de qui je suis. Trans. Transmasc. Non-binaire.

Je me souviens avoir des flashbacks de ma puberté. Me sentir étranger.ère à mon corps. Le regarder avec des larmes plein les yeux. Penser à cette dérangeante peinture de Sainte Agathe vue dans un musée lors d’un voyage scolaire. Griffer ma peau. Comme pour essayer d’extraire le.a vrai.e moi de l’enveloppe. Vide. Désespoir. Plus de sexe pour moi. Plus jamais.

Je me souviens prendre la décision de transitionner. Coming out. Dysphorie. Griffer encore. Changer mon corps. Prendre des shots de T. Un par mois. La voix qui change. Euphorie. Pilosité corporelle plus dense. Doutes. Libido plus forte que jamais. Rendez-vous avec mes sextoys. Deux. Trois. Quatre. Cinq fois par jour. Épuisé.

Je me souviens faire du sexe vanille après une soirée. Avec un mec cishet. Mon meilleur ami. Un allié. Mais un cishet. C’était censé être ma seconde première fois. Première fois en étant moi. Mais sans avoir l’impression d’être vraiment moi. Anxiété.
Dysphorie.

De quoi ai-je envie ?

De quoi ai-je réellement envie ?

Je me souviens vouloir coucher avec un.e partenaire.

Plusieurs partenaires.

Avoir des fantasmes.

Beaucoup de fantasmes.

Les protéger comme des secrets.

Vouloir se sentir désiré.

Moi, pas ce sac à viande aux apparences de femme.

Mais détesté être touché.

Être vu.

_________

Mais je veux être vu. Le vrai moi je veux dire. Je veux continuer d’expérimenter. Je veux me noyer dans les spasmes, les fluides et l’allégresse. Je veux avoir la vie sexuelle que je souhaite pour moi-même. Je veux retrouver ce qui m’appartient. Ma joie. Ma candeur. Ma sincérité. Je veux arrêter d’avoir peur de dire toutes ces choses, ce dont j’ai besoin. Ce que je désire. Je veux que ma gorge s’éclaircisse. Et que les mots en sortent librement.

Alors seulement,

Nous saurons,

Ce que je suis réellement:

Passioné de sexe, et fier.

Interview avec le
Pure Kink Documentary

Peux-tu résumer le projet Pure Kink en quelques phrases ?

PURE-KINK est un projet commun de Swen Brandy (CARNIVORE), Sebastian Salvor et Peppermind. Il se compose de plusieurs épisodes documentaires qui dressent chacun le portrait d’un.e.x ou de plusieurs protagonistes et de leurs inclinaisons sexuelles. Il s’agit principalement de pratiques qui peuvent être classées dans le domaine du BDSM, du kink et du fétichisme. Mais nous abordons également des thèmes tels que l’orientation sexuelle, l’identité et l’autodétermination. Il est surtout important pour nous de montrer ces thèmes à travers la personnes entendue. Nous ne voulons pas réduire nos protagonistes à une tendance ou pratique, mais raconter des personnes qui s’épanouissent dans leurs activités sexuelles.

Je comprends votre projet comme une initiative du milieu BDSM sur le milieu BDSM. Cette position de personne concernée est-elle importante pour vous ? Pensez-vous que cette position soit nécessaire pour parler du BDSM ?

Nous pensons que cette perspective est surtout nécessaire pour faire comprendre le BDSM aux autres. Cela commence par le fait de savoir sur quoi on se concentre lorsqu’on en parle. Le BDSM est un sujet complexe, dans lequel il y a en principe beaucoup à raconter et à montrer. Les personnes ayant peu de connaissances sont souvent dépassées et ne savent pas exactement sur quoi se concentrer. C’est pourquoi ielles se concentrent souvent sur les « différences » ou les aspects qui semblent particulièrement spectaculaires ou extraordinaires. Mais ces thèmes ne sont pas forcément adaptés pour rendre le BDSM compréhensible en tant que culture. Au contraire, ils favorisent plutôt l’idée que les personnes proches du BDSM sont un phénomène marginal et exotique. En tant que personnes pratiquant elles-mêmes le BDSM, nous savons en revanche très bien ce qui motive les gens à vivre ces inclinaisons, et quels sont les désirs, les besoins et les émotions qui y sont liés. Cette connaissance nous permet de faire plus facilement le portrait de ces aspects dans nos films.

Le féminisme, l’autodétermination, la liberté sexuelle et le consentement sont des thèmes que vous abordez. Quel écho avez-vous rencontré jusqu’à présent dans un monde BDSM qui est encore très hétéro-normatif ?

Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu de réactions négatives. Peut-être parce que nos films s’adressent de préférence à des personnes qui sont ouvertes à ces thématiques. De manière générale, nous avons l’impression que l’intérêt pour ces thématiques grandit dans le milieu, notamment parmi la jeune génération. C’est pourquoi nous avons reçu jusqu’à présent des retours plutôt positifs sur le fait d’inclure ces perspectives.

Vous écrivez que vous ne réduisez pas les protagonistes à leurs pratiques sexuelles, mais que vous montrez des personnes qui ont certaines inclinaisons sexuelles. Je trouve que c’est une très belle vision dans un milieu qui associe encore très fortement les kinks d’une personne avec son identité. Pouvez-vous expliquer un peu ce qui vous a amené à développer cette vision ?

Tous ceux_celles qui s’immergent dans le monde du BDSM sont confronté.x.es à un moment ou à un autre à cette contradiction, à savoir que leurs propres expériences dans le milieu diffèrent fortement de l’image qui en prévaut encore dans notre société. Il n’est pas rare d’entendre que les personnes qui viennent d’arriver dans le milieu le trouvent nettement plus ouvert et positif que ce à quoi elles s’attendaient au départ. Si, après ces expériences, on lit à nouveau des récits sur le BDSM, on se rend vite compte qu’ils sont souvent partiaux ou incomplets. Dans le meilleur des cas, ils empêchent de s’identifier aux personnes dont ils font le portrait, dans le pire des cas, ils provoquent même du dégoût. Je pense que tous ceux_celles qui sont dans ce milieu depuis longtemps doivent tôt ou tard se confronter à cette dissonance. C’est pourquoi notre objectif est de contribuer à une vision plus complète en adoptant un autre point de vue et des perspectives complémentaires. De sorte que davantage de personnes puissent avoir un accès réel au BDSM ou du moins mieux le comprendre.

En faisant le portrait de personnes dans le monde de Kink, vous créez une plateforme pour certaines personnes. C’est aussi ce que nous faisons avec le magazine Epectase. Nous nous sommes rapidement posé des questions telles que : à qui cette plateforme donne-t-elle de la place, qui peut ainsi se créer une visibilité, comment est-il possible que des personnes qui ne sont souvent pas représentées (toutes les minorités sociales) se sentent en confiance pour prendre cette place, comment pouvons-nous éviter de refléter les normes habituelles de la société. Quelles sont vos réflexions à ce sujet ?

Nous essayons de veiller à ce que nos protagonistes présentent une certaine diversité, par exemple en termes d’âge, de kinks, de genre et d’orientation sexuelle. Mais nous savons aussi par expérience que « correspondre à la norme » n’est pas un absolu. Au contraire, chaque personne a des aspects dans lesquels elle correspond à une certaine norme ou à un certain standard et des domaines dans lesquels elle s’écarte des normes. Notre objectif n’est donc pas de nous focaliser sur l’un ou l’autre de ces aspects mais plutôt de montrer une image complète de la personne, dans laquelle les deux peuvent coexister. Et nous pensons que c’est justement ce qui est décisif pour s’éloigner de la stigmatisation. Car la stigmatisation ne signifie pas seulement que certaines personnes se sentent exclues, mais aussi que des personnes ne peuvent pas montrer réellement qui elles sont. Par exemple parce qu’elles correspondent à la norme sociale dans certains aspects de leur personne et pas sur d’autres. Pour augmenter la visibilité, il faut donc aussi résoudre ces prétendues contradictions en montrant que ce qui est prétendument « différent » est beaucoup plus normal que ce que nous avons tendance à penser.

Peux-tu nous dire un peu plus sur la manière dont vous gérez le consentement pendant le tournage, les outils que vous utilisez. Est-ce que vous avez quelques conseils à donner ?

En ce qui concerne la concertation avec nos protagonistes, nous suivons le principe de base selon lequel nous essayons de clarifier le plus de choses possible en amont, afin de pouvoir agir aussi librement que possible pendant le tournage et la postproduction. Pour ce faire, nous commençons toujours par un entretien préliminaire au cours duquel nous faisons connaissance, clarifions les conditions générales et discutons des thèmes potentiels qui pourraient faire l’objet de l’épisode. En outre, nous veillons à ce que les protagonistes aient déjà une certaine stabilité dans leurs pratiques sexuelles et qu’ils soient en accord avec le fait de les montrer ouvertement vers l’extérieur. Comme il s’agit d’une condition de base pour nous, nous voulons pouvoir montrer le visage des protagonistes de manière clairement reconnaissable.

Nous n’utilisons pas vraiment d’outils spécifiques, à l’exception de l’accord que nous fixons par contrat. Comme nous voulons montrer les acteur.ices de la manière la plus authentique possible, nous les laissons gérer elleux-mêmes le consentement entre elleux (nous demandons d’ailleurs si nous pouvons filmer certains aspects de cette pratique du consentement). Nous n’interviendrons que si nous constatons un accord insuffisant ou un déséquilibre trop important dans le rapport de force. Mais cela n’a pas encore été le cas.