Lilith et Ève

Traduction française d’un texte publié dans la revue

Epectase #3.

Ecrit par Baedan, a queer journal of heresy

Dans la mythologie patriarcale de la civilisation judéo-chrétienne, Dieu créa Adam, le premier homme, et lui donna une femme. La plupart connaissent Ève, sa seconde épouse. Moins nombreuses sont celles qui parlent de sa première femme, Lilith. Lilith différait d’Ève en ce qu’elle refusait d’être la servante d’Adam. Elle ne voulait pas s’étendre sous lui dans la position du missionnaire et elle fut ainsi expulsée de l’Éden. Au moment de son expulsion, elle devint un démon, un succube qui voyage à travers le temps et la nuit, s’accouplant avec d’autres démons et libérant des esprits maléfiques. Il est dit qu’à la nuit tombée elle vient encore tenter les femmes pour qu’elles quittent leurs maris, elle transforme les hommes en tapettes, encourage toutes sortes de formes de sexualité non-reproductive et, même, vole et mange les enfants.

Dieu le père ne pouvait commettre la même erreur deux fois. Il a donc façonné la seconde épouse d’Adam, Ève, à partir de l’une de ses côtes pour assurer son obéissance. Et elle a tout de même désobéi, elle a mangé le fruit défendu de l’arbre de la connaissance et son mari et elle ont toutes deux été bannies de l’Éden. Certaines, comme Walter Benjamin, y verront l’expulsion de l’humanité du communisme primitif. Les histoires subséquentes du Livre saint de cette religion consistent en grande partie en lamentations sur la vie civilisée. Le premier chapitre raconte la chute et les chapitres suivants racontent les misères endurées au sein de différentes civilisations et leurs histoires d’exodes.
Mais quel était ce savoir défendu ? Quel était le péché originel ? Une certaine hérésie raconte que le savoir défendu était la réalisation du caractère reproducteur d’un certain type de sexualité. Une fois qu’Adam et Ève le surent, elles ne pouvaient le désapprendre.


À partir de là, toutes leurs activités furent liées l’émergence d’un ordre de domination symbolique. Alors qu’auparavant elles se prélassaient simplement dans une utopie sans futur, dorénavant leurs actions avaient des conséquences. De ce savoir a découlé l’invention du rôle du Père, de même que la connaissance nécessaire à l’agriculture et, même, la première forme de pensée rationnelle qui deviendrait plus tard la Science. Le patriarcat, la civilisation, le futurisme reproductif. Tout découle de cette abominable découverte.


Les misogynes de l’église blâmeront Ève pour la découverte et l’expulsion de l’Éden, mais comme nous le savons bien, ce sont les pères, les éleveurs, les maris, les inquisiteurs et les chasseurs de sorcières qui ont utilisé ces secrets d’arcane pour mécaniser le corps. Ces mêmes gens qui haïssent les femmes condamneront d’innombrables femmes et tapettes à brûler en les accusant d’être tombées sous l’influence de la démone rebelle Lilith.
Si nous ne pouvons désapprendre ces secrets, alors à quoi pourrait ressembler la destruction de la machinerie qui nous domine à travers eux ? Pouvons-nous réinvoquer Lilith et voler avec elle dans la nuit ?